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Nouvelles spiritualités et internet au temps de la Covid-19

Vignettes

Le report massif des activités vers des moyens numériques depuis le début de la pandémie rend visibles et disponibles des phénomènes religieux/spirituels jusque-là moins perceptibles. Les nouveaux médias ont un rôle aujourd’hui essentiel dans la transmission des rites et des expériences religieuses, le contexte sanitaire a renforcé cet usage des moyens numériques.

Depuis le début de la pandémie on observe une forte présence des religiosités et spiritualités en ligne. Le CIC a observé par ex. la diffusion de pratiques telles que des formes de yoga moderne, de méditations, des disciplines basées sur les pratiques corporelles, des danses libres, rituels lunaires et pratiques néo-païennes, la répétition de mantras, des soins alternatifs, des rites chamaniques, la pratique de la pensée positive, des exercices respiratoires et des pratiques destinées à renforcer le système immunitaire (notamment sur Instagram, Youtube et Facebook).

Le report massif des activités en lignes a été ainsi particulièrement visible dans les milieux de santé holistique et de bien-être proches des spiritualités dites « alternatives » – des milieux en forte augmentation depuis déjà deux décennies en Suisse. S’ils sont encore marginaux dans les années 1990, elles gagnent aujourd’hui en visibilité et légitimité dans l’espace public.

En Suisse, les femmes sont « deux fois plus nombreuses à recourir à une technique spirituelle (27% contre 11%) » (OFS, p. 20)[1]. Les personnes se disant « spirituelles mais pas religieuses » en Suisse sont en effet majoritairement des jeunes et des femmes qui sont professionnalisés, diplômés d’études supérieures, et qui ont des positions antireligieuses exprimant une méfiance envers les Églises et les institutions religieuses traditionnelles, selon l’étude récente de Becci et Dandarova-Robert[2]. Selon cette même étude, le mot « religieux » n’est plus à la mode surtout chez les jeunes générations où il est souvent négativement connoté, l’identification au spirituel leur permet d’exprimer une différence par rapport aux générations précédentes.

Les travaux de Hackett[3] ont déjà montré que pour ces catégories sociales, la spiritualité cybernétique offre une plus grande liberté qu’un lieu de culte traditionnel. Elle montre bien en quoi le monde digital offre aujourd’hui des nouvelles possibilités d’expériences spirituelles, encourageant la personnalisation des pratiques, des rituels moins hiérarchisés qui ne passent pas nécessairement par des élites, et leur adaptation aux styles de vie actuels. Le visuel, les photos ou vidéo sharing, le storytelling, sont aussi des médiums parlant généralement plus aux jeunes, aujourd’hui connectés en moyenne 5 à 10 heures sur internet par semaine.

Le phénomène des jeunes sorcières 2.0 massivement présentes sur Instagram avec les hashtags #WITCH #WITCHY #WICCA (pour les contextes anglosaxons) #SORCIÈRES #SORCIÈRE #SORCELLERIE (pour les contextes francophones), en témoigne. Ces publications digitales, qui s’inscrivant dans le contexte plus large de la mouvance verte (intérêt montant pour les modes de vie alternatifs, les retraites sauvages, la créativité rituelle, le bio, le véganisme, les arguments articulant santé, écologie et spiritualité), célèbrent le corps féminin dans sa diversité, la magie, les objets rituels, les produits de beauté naturels, la liberté sauvage, la nature, la réconciliation avec les cycles naturels féminins (ex. les rites autour de la menstruation), l’autorité et le pouvoir intérieur. La dynamique qui prévaut est : libérer le corps féminin des injonctions normatives et du patriarcat. Ces nouvelles sorcières sont autant d’artistes, herboristes, thérapeutes alternatives, féministes, enseignantes de Yoga qui se trouvent dans la logique du Believing without belonging (croire sans appartenir) décrite par la sociologue Grace Davie[4].

Si les nouvelles spiritualités ont été considérées jusqu’à présent comme des « expériences religieuses privatisées »[5], les nouveaux médias entraînent des formes de déprivatisation, leur octroyant une certaine visibilité dans l’espace public.

Le champ du religieux et plus particulièrement des nouvelles religiosités se déploie de plus en plus sur le web comme un outil de médiatisation. Des recherches ont démontré que nous sommes arrivés à un point où une communauté religieuse peut manquer de crédibilité ou d’identité si elle manque de présence digitale. Dans le champ des nouvelles spiritualités, la connectivité virtuelle est structurellement compatible avec la vision d’un « monde interrelié »[6]. On assiste au passage du « cyber-café » au « cyber-sacré » par la dématérialisation, la décorporalisation et la virtualisation des expériences intégrées à la vie quotidienne. De plus, l’accès aux messages religieux est facilité, plus rapide, et ne nécessite pas toujours un investissement physique ou économique. La possibilité d’y accéder de manière anonyme comporte aussi son attrait.

Références citées

[1]Office Fédérale de la Statistique (OFS) (2014), Enquête sur la langue, la religion et la culture 2014 [enligne], [https://www.bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/1011432/master], consulté le 8 juin 2021.

[2]Becci Irene, Dandarova-Robert Zhargalma (2021), « Se dire « spirituel », « religieux », les deux ou aucun des deux en Suisse : une analyse sociologique », Working paper, n°16, ISSR, Université de Lausanne.

[3]Hackett J. Rosalind (2005), « Religion et internet », Presses Universitaires de France, n°211, pp. 86-99.

[4]Davie, Grace (1990), « Believing without Belonging: Is this the Future of Religion in Britain? », Social Compass, vol. 37, n° 4, pp. 455-469.

[5]Streib Heinz, et Hood Ralph W. (2011), « “Spiritualiy” as Privatized Experience-Oriented Religion: Empirical and Conceptual Perspectives », Implicit Religion, vol. 14, n° 4, pp. 433-453.

[6]Ferreux, Marie-Jeanne (2001), « Le New-Age. Un “nouveau monde” cybersacré », Socio- anthropologie, n° 10, pp. 2-8.