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L’abattage rituel

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L’abattage rituel d’animaux est une pratique de plusieurs courants religieux, dont les principaux concernés sont le judaïsme et l’islam en Europe. Ils constituent pour les deux une « prescription divine », écrite dans leurs sources religieuses respectives (qui sont issues de la même tradition). Le terme rituel est par ailleurs dans la majorité des contextes inexact, car il s’agit s’une prescription de la consommation alimentaire, qui n’est que quelque fois associée à un rite (Comme l’Aïd al-Adha, fête du sacrifice musulmane).[1] Il existe cependant des formes d’abattages rituels dans d’autres traditions religieuses et spirituelles, relativement moins documentées que les traditions juives et musulmanes, qui prennent place en Europe et dans le monde. L’abattage rituel est réglementé par les lois nationales de chaque État, qui sont régulièrement remises en question, et suscitent un débat d’opinions toujours d’actualité. En effet l’abattage rituel représente une controverse publique car il met en tension la liberté religieuse et la défense de la protection des animaux.

L’abattage rituel dans le judaïsme

Les prescriptions judaïques quant à la consommation de viande animale se trouvent dans le Deutéronome, partie de la Torah, et les modalités spécifiques sont consignée dans la Michna, soit un ensemble de commentaires considéré par les croyant-e-s comme étant la parole de Moïse rapportée. La loi écrite (Deutéronome) et orale (Michna) sont les sources de la shehita, soit les règles de l’abattage rituel judaïque.

La loi écrite (Deutéronome) et orale (Michna) sont les sources de la shehita, soit les règles de l’abattage rituel judaïque. Dans cette tradition, la consommation d’animaux est permise aux humains à l’exception de leur sang, qui est le « symbole de la vie » et figure comme « l’emplacement de l’âme ».[2] Ainsi l’extraction totale du sang lors de la mise à mort de l’animal est requise.

Cette dernière est cependant très codifiée et doit se faire dans le respect de la dignité l’animal pendant tout le processus. Elle ne peut être accomplie en outre uniquement par un spécialiste agrée par des autorités religieuses, le shohet ; à qui est délivré un certificat attestant de son aptitude à abattre et sa qualification morale religieuse. En principe, l’animal ne peut être étourdi ni anesthésié avant l’abattage.[3] Il existe encore beaucoup de prescriptions concernant le couteau nécessaire à l’égorgement (d’une longueur deux fois égales au cou de l’animal), la position de l’animal pendant sa mise à mort ainsi quant à la vérification post-mortem de l’habilité de l’animal à être consommé (bedika).[4]

De manière générale, pour être considérée comme casher (licite), toute viande doit provenir d’un animal doté de sabots fendus (soit des bovins, ovins et caprins) ou de certaines espèces d’oiseaux admises (les poulets par exemples). Ces obligations alimentaires sont consignées dans le Casherout, le code alimentaire de la tradition qui détaille tous les interdits et procédures propre à la consommation des croyant-e-s. Les multiples exigences de ce code religieux entraînent une sélection très stricte des animaux considérés comme casher, ainsi ce ne sont seulement 10% des veaux et 30% du « gros bétail » abattus qui sont acheminés dans le circuit de consommation destiné à la communauté juive.[5] Les autres sont renvoyés dans les circuits non-casher.

L’abattage rituel dans l’Islam

L’abattage rituel musulman est légèrement plus simplifiée par rapport à la codification judaïque et ne revêt qu’une importance minime dans le Coran.[6] Il est licite (halâl) de consommer les animaux (mêmes espèces que dans le judaïsme) vivants, égorgés et impérativement vidés de leur sang. On retrouve ainsi la conception judaïque du sang comme « vecteur de la vie » dans l’islam, par ailleurs le même mot est utilisé en hébreu et en arabe pour désigner le sang (dam et damm).[7] Le verset coranique principal abordant ce thème stipule, « Allah a seulement déclaré illicite pour vous la morte, le sang, la chair du proc et ce qui a été consacré à un autre qu’Allah. » (Sourate de la Vache (2), versets 168-173).[8] L’abattage par égorgement doit être alors la cause de la mort de l’animal. Ceci entraîne une grande divergence dans la jurisprudence islamique actuelle sur la licité de l’étourdissement préalable de l’animal avant la saignée. Pour certains (comme la Ligue Islamique Mondiale),[9] l’insensibilisation via des électrodes n’entraîne pas de facto la mort de l’animal, ainsi le mode d’abattage occidental actuel n’entre pas en contradiction avec les lois islamiques. Pour d’autres, l’animal assommé, étouffé, rendu inconscient par quelque moyen avant l’égorgement devient impropre à la consommation car est assimilé à la chaire morte proscrite.[10]

Le centre de l’abattage rituel musulman – l’égorgement – est plus codifié :[11] la tête de l’animal doit être inclinée en direction de la Mecque et celui qui égorge doit prononcer une formule rituelle (bismillah, au nom de Dieu) encadrant ainsi la mise à mort dans un respect de l’animal. Le geste doit être précis, il est impératif de trancher uniquement l’œsophage, la trachée, la jugulaire et la carotide d’un seul coup. Cela s’inscrit dans l’interdiction de la torture et la tentative de minimiser au maximum la souffrance de l’animal, que le rite musulman permet selon les textes religieux (Ligue des musulmans suisses).[12]  Il existe comme dans le judaïsme, des réglementations concernant la taille du couteau (également deux fois plus grand que le cou de l’animal), l’état propice d’un animal pour l’abattage etc. Il n’y a pas d’exigence spécifique concernant les personnes capables de mener l’abattage, il peut être accompli par tout croyant masculin sain d’esprit, de préférence ayant accompli le hajj (le pèlerinage à la Mecque).[13] Parmi les fêtes rituelles islamiques, une seule est directement en lien avec l’abattage d’animaux, il s’agit de la fête du sacrifice (Aïd al-Adha, ou Aïd al-Kabir, « la grande fête » par opposition avec la « petite fête » de fin du Ramadan Aïd al-Fitr), qui commémore l’épreuve du sacrifice d’Abraham (Ibrahim) de son fils, imposée par Dieu dans les traditions du Livre. Pour cette fête, chaque famille est censée sacrifier un mouton.

Abattage rituel dans d’autres courants

Il existe dans beaucoup d’autres traditions religieuses des pratiques de mise à mort d’animaux de façon rituelle. Nous pouvons en observer notamment dans le vaudou (présent en Afrique et Amérique latine), l’umbanda et le candomblé, qui sont les deux issues de traditions religieuses africaines mélangées au catholicisme lors de leur importation en Amérique latine par les esclaves.

Régulation légale de l’abattage rituel en Suisse et Europe

La Suisse constitue une quasi exception en Europe car elle est l’un des seuls pays (avec la Suède et la Norvège) qui interdit l’abattage rituel sans étourdissement préalable. En 1893, la population suisse vote en faveur de la toute première initiative populaire dans l’histoire, qui porte sur l’interdiction de l’abattage rituel juif.[14] L’historiographie estime que cette votation s’inscrit dans la croissance des sentiments antisémites en Europe vers la fin du 19ème siècle.[15]  Des assouplissements s’opèrent cependant après la Seconde Guerre Mondiale. Une vingtaine d’années après, le mouvement pour la défense des animaux, et plus largement pour la biodiversité, prend de l’ampleur et de nombreuses initiatives sont proposées dans le cadre fédéral. En 1978, la Loi sur la Protection des animaux est adoptée, reléguant l’abattage rituel à son statut d’avant 1950.[16] La Fédération Suisse des Communautés Israélites obtient cependant en 2003 une adaptation de la loi permettant d’importer de la viande casher.[17] Si l’importation de viande à destination des membres des communautés juives et musulmanes est légalisée, sa commercialisation est contrôlée et ne peut uniquement être faite dans des surfaces spécialisées et agrées. 

[1] Voir Sägesser, Caroline, « Les débats autour de l’interdiction de l’abattage rituel ». Courrier Hebdomadaire du CRISP. 2018/20 n°2385, pp.5-48.

[2] Voir Nizard, Sophie, « L’abattage dans la tradition juive ». Études rurales, n°147-148, 1998. Mort et mise à mort des animaux. pp.49-64.

[3] Voir Elbaz Jean-Marc, “L’abattage ritual juif ou le respect de l’animal”, Anti-Defamation League (ADL), B’nai Brith, 2007. URL : http://www.col.fr/IMG/pdf/animal.pdf.

[4] Voir Nizard, Sophie, « L’abattage dans la tradition juive ». Études rurales, n°147-148, 1998. Mort et mise à mort des animaux. pp.49-64.

[5] Office vétérinaire fédérale, Informations de base sur l’abattage rituel, 2001.

[6] Voir Bonte Pierre, « Quand le rite devient technique », Techniques & Culture [En ligne], 54-55 | 2010, mis en ligne le 30 juin 2013, consulté le 7.09.2020. URL : http://journals.openedition.org/tc/5020

[7] https://www.alimentarium.org/fr/savoir/shehita-%E2%80%93-abattage-rituel, https://fr.glosbe.com/ar/he/%D8%AF%D9%85,  consultés le 21.09.20.

[8] Le Coran, trad. R. Blachère, Masionneuve et Larose, 1999, p.52.

[9] Cité par Hochereau F. et Selmi A, « Les vicissitudes de l’application d’une norme de bien-être animal en abattage rituel », in Les Sens du Halal. Une norme dans un marché mondial, Bergeaud-Blackler F. (dir), CNRS Editions, 2015.

[10] Voir Bonte Pierre, « Quand le rite devient technique », Techniques & Culture [En ligne], 54-55 | 2010.

[11] Pour les différentes interprétations juridiques islamiques de la mise à mort, voir Benkheira Hocine. « Sanglant mais juste : l’abattage en islam », In: Études rurales, n°147-148, 1998. Mort et mise à mort des animaux. pp. 65-79, URL : https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1998_num_147_1_3620.

[12] https://web.archive.org/web/20020411015817/http://www.rabita.ch/frensh/abbatage_rituel_1.htm, consulté le 16.09.20.

[13] Voir Sägesser, Caroline, « Les débats autour de l’interdiction de l’abattage rituel ». Courrier Hebdomadaire du CRISP. 2018/20 n°2385, pp.5-48.

[14] « Abattage rituel », Dictionnaire Historique de la Suisse, version du 11.01.2012, consulté le 25.06.2021.

[15] Idem.

[16] Loi fédérale sur la protection des animaux (LPA), 09.03.1978, URL: Loi fédérale sur la protection des animaux (LPA) du 9 mars 1978 (admin.ch), consulté le 25.06.2021.

[17] https://www.swissjews.ch/fr/affaires-religieuses/cacher/linterdiction-de-labattage-rituel-en-suisse/, consulté le 25.05.2021.


Pour approfondir

Baeke Viviane, « Sorcellerie, sociétés secrètes et sacrifice chez les Wuli du Cameroun occidental »,

Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 7 | 1986, mis en ligne le 05 juin 2013, consulté le 16.09.2020. URL : http://journals.openedition.org/span/617.

Bergeaud-Backler Florence, « Nouveaux enjeux autour de l’abattage rituel : une perspective européenne ». Cahiers d’Economie et de Sociologie Rurales, INRA Editions, 2004, pp.5-33.

Bergeaud-Blackler Florence, « Halal : d’une norme communautaire à une norme institutionnelle »,

Journal des anthropologues [En ligne], 106-107 | 2006, mis en ligne le 16 novembre 2010, consulté le 30. avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/jda/1270.

Bergeaud-Blackler Florence, Le marché halal ou l’invention d’une tradition, Seuil, Paris, 2017.

Bernand Carmen, « La chevauchée des dieux : le vaudou haïtien », Clio, 2002.

Bonte Pierre, « Quand le rite devient technique », Techniques & Culture [En ligne], 54-55 | 2010, mis en ligne le 30 juin 2013, consulté le 7.09.2020. URL : http://journals.openedition.org/tc/5020

Elbaz Jean-Marc, “L’abattage ritual juif ou le respect de l’animal”, Anti-Defamation League (ADL), B’nai Brith, 2007. URL : http://www.col.fr/IMG/pdf/animal.pdf.

Frigerio Alejandro, « Re-Africanization in Secondary Religious Diasporas : Constructing a World religion », [En ligne], 51 | 2002, mis en ligne le 06 janvier 2009. URL : http://civilisations.revues.org/index656.html.

Guillot Maïa, Les religions afro-brésiliennes au Portugal : Ethnographie de trois lieux de culte à Lisbonne, Mémoire de maîtrise, Université Paris X-Nanterre, 2005-2006.

Lindemann Anaïd, « Abattage rituel en Suisse », Eurel, 2017. URL : https://eurel.info/IMG/pdf/2019-02_suisse_abattage_rituel.pdf.

Nizard Sophie, « L’abattage dans la tradition juive ». Études rurales, n°147-148, 1998. Mort et mise à mort des animaux. pp.49-64.

Sägesser Caroline. « Les débats autour de l’interdiction de l’abattage rituel ». Courrier Hebdomadaire du CRISP. 2018/20 n°2385, pp.5-48.