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Les Nouveaux mouvements religieux (NMR)

Les études consacrées aux « nouvelles religions » ou aux « nouveaux mouvements religieux » (NMR) commencent à former un domaine de recherche dans les années 1960-70 au Japon, en Europe et aux Etats-Unis. Elles prennent place dans un contexte social marqué par d’intenses débats et controverses au sujet de ces groupes en apparence nouveaux. Pour bien connaître les NMR aujourd’hui, il est indispensable de comprendre comment s’est constitué ce domaine de recherche, et de s’interroger sur ce que recouvre le terme « nouveau mouvement religieux ».

Quand le terme NMR apparaît-il ?

L’expression « religion nouvelle » (shinshûkyô) ou « religion nouvellement apparue » (shinkô shukyô) aurait été utilisée pour la première fois[1] dans le cadre de la sociologie des religions japonaises, dans le courant des années 1950. Mais son usage et l’intérêt pour ce domaine d’étude au Japon, s’accroissent dans les années 1970, qui voient même l’apparition du terme shin-shinshûkyô, « nouvelle nouvelle religion »[2]. Ces décennies sont en effet marquées par l’apparition de groupes religieux inédits qui se développent dans le pays à la faveur de la liberté religieuse acquise après-guerre.

C’est dans les années 1970 également qu’une expression similaire, celle de « nouveau mouvement religieux », se répand parmi les sociologues des religions européens et américains. Ceux-ci entendent désigner par ce terme un ensemble de phénomènes proches de ceux observés au Japon mais qui se forment dans un contexte un peu différent, celui des développements culturels et contre-culturels des années 1960, de l’individualisation et de la globalisation naissante. Les mouvements psychédéliques et hippies popularisent des croyances et organisations religieuses d’origine orientale, notamment hindoue ; Le vent pousse à plus de liberté dans tous les domaines de l’existence, y compris dans le choix de son appartenance religieuse ; et la globalisation favorise le brassage des idées et des individus. C’est dans ce contexte que l’on observe tout à coup de nombreux jeunes adultes embrasser des croyances différentes de celles de leurs parents et que se multiplient des mouvements religieux non chrétiens, se rattachant à des religions asiatiques ou se présentant comme de nouvelles religions.

Que recouvre le terme NMR ?

Il n’est pas aisé de cerner précisément ce que recouvre le terme NMR car sa définition varie selon les auteurs. L’expression a tendance à être employée pour désigner les mouvements qui s’écartent des religions mondialement établies, qui présentent un certain degré de nouveauté (soit par rapport à une tradition antérieure, soit parce qu’ils ont été fondés récemment). Mais la frontière entre ce qui relève des religions établies, et des nouveaux mouvements religieux n’est pas précise. Pas plus que la frontière entre les groupes religieux « nouveaux » et anciens.

Le terme NMR recouvre en effet deux types d’innovation religieuse : les mouvements de revitalisation d’une religion, qui restent dans l’orbite doctrinale d’une tradition préexistante et les mouvements qui apparaissent hors du giron d’une tradition plus ancienne tout en faisant des emprunts à divers univers religieux. Il n’existe, par ailleurs, aucun consensus relatif au critère chronologique permettant de désigner comme « nouveau » un mouvement religieux. La sociologue Eileen Barker les perçoit comme des mouvements nouveaux, dans la mesure où ils sont devenus visibles en Occident depuis la Deuxième Guerre mondiale[3]. La « nouveauté » répond donc ici à un critère historico-chronologique.

Autre difficulté, le terme englobe des milliers de mouvements, présents dans le monde entier et comportant des formes d’organisation très différentes : groupes sans structures réunis autour d’un message ou d’un personnage fondateur, organisations structurées et hiérarchisées avec une administration importante, etc. Il englobe également des mouvements qui, du point de vue religieux, sont extrêmement divers.

Enfin, les groupes désignés comme NMR ont des origines géographiques, sociales, historiques et culturelles multiples. Ces mouvements recouvrent des réalités différentes selon le contexte politique, social et religieux dans lequel ils sont nés.

Les chercheurs ont néanmoins tenté de dégager des caractéristiques communes aux groupes qu’ils désignaient comme tels. Jusque dans les années 1990, plusieurs d’entre eux s’accordaient à dire qu’il s’agissait le plus souvent de groupes de petite taille, rassemblant essentiellement de jeunes adultes, conduits par des leaders charismatiques et manifestant une certaine hostilité à l’égard du monde extérieur. Leurs membres, de classe moyenne éduquée, affichaient souvent un engagement religieux fort[4]. Selon les observations des sociologues, ces groupes avaient en commun également des formes d’organisation et des modes de financement inhabituels, ce qui accréditait leur « nouveauté » : la plupart se formaient en réseau de groupes interconnectés d’envergure internationale ; certains prônaient pour leurs membres une vie basée sur une activité d’évangélisation errante soutenue par la mendicité ou des emplois temporaires ; d’autres groupes appuyaient le financement de la vie communautaire de leurs membres sur le fonctionnement d’entreprises autonomes créées par le groupe.

Beaucoup de ces caractéristiques ont aujourd’hui évolué. Les groupes nés dans les années 1960-1970 ont connu des réformes, leurs membres ont vieilli et une seconde génération, voire une troisième génération, s’y est formée, avec des aspirations et une manière de vivre leur engagement religieux souvent différentes de celles de leurs parents[5]. Certains d’entre eux par ailleurs ont disparu. Eileen Barker note que l’on trouve aujourd’hui beaucoup moins de groupes en rupture avec le monde et prônant une vie en communauté, comme certains le faisaient dans les années 1970. Les membres de ces groupes vivent aujourd’hui pour la plupart en famille, à l’extérieur du mouvement, et occupent des emplois à l’extérieur de celui-ci.

Pourquoi le terme NMR a-t-il été, et est-il toujours
utilisé ?

On parle de « nouveaux mouvements religieux » (NMRs) pour éviter les connotations normatives et négatives du terme de « secte ».

Les phénomènes désignés comme nouveaux mouvements religieux sont à divers degrés anticonformistes, minoritaires, voire marginalisés. Le terme de « secte » a été conceptualisé au début du 20ème siècle par Max Weber et Ernst Troeltsch pour désigner des modes d’organisation et des types de doctrines qu’a connu le christianisme, du Moyen-Age à l’époque moderne. Pour ces deux chercheurs, « secte » et « Eglise » sont des idéaux-types opposés l’un à l’autre. La « secte » désigne un type de groupes religieux de petite taille qui se caractérisent par l’adhésion volontaire des membres au groupe, par la primauté de la liberté de conscience face aux exigences de l’Etat ou encore par le rejet du « charisme de fonction » en faveur d’un charisme personnel. Elle est opposée au type « Eglise », conçu comme une grande organisation formelle et hiérarchique, ambitionnant l’exercice d’un monopole religieux sur une région ou un pays, auquel on appartient par héritage familial. Or, avec la diversité religieuse actuelle, nous ne pouvons plus lire le paysage religieux sous l’angle d’une dichotomie Église-sectes[6].


[1] « New Approaches to the Study of New Religions in North America and Europe », in Peter Antes, Armin W. Geertz et Randi R. Warne (dir.), New Approaches to the Study of Religion, vol. 1: Regional, Critical, and Historical Approaches, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2004, pp. 409.

[2] Nobutaka, Inoue, “Recent Trends in the Study of Japanese New Religions”, in : New Religions, Contemporaray Papers on Japanese Religions, Institute for Japanese Culture and Classics, 1991; Berthon, Jean-Pierre, Kashio, Naoki, “Les nouvelles voies spirituelles au Japon : état des lieux et mutations de la religiosité, Archives de sciences sociales des religions, n°109, janvier-mars 2000.

[3] Eileen Barker,1998. New Religions and New Religiosity. In New Religions and New Religiosity. Eileen Barker, Margit Warburg (eds.). Pp. 10-27. Aarhus : Aarhus University Press.

[4] Voir typologies dressées par Bryan Wilson ou Eileen Barker dans les années 1980-1990.

[5] Barker, Eileen, « The Not-So-New Religious Movements: Changes in ‘the Cult Scene’ over the Past Forty Years », in Temenos Vol. 50 No. 2 (2014), p. 240-241.

[6] Mayer, Jean-François. 2007. Orthodoxie et dissidence: réflexions d’historien autour des sectes et de la religiosité parallèle. Heresis : Revue d’hérésiologie médiévale, pp.174.

Autres références

Ashcraft, Michael W., “Field Notes A History of the Study of New Religious Movements” Nova Religio: The Journal of Alternative and Emergent Religions, Vol. 9 No. 1, August 2005.

Barker, Eileen, « Perspective: What Are We Studying? », in Nova Religio: The Journal of Alternative and Emergent Religions, Vol. 8 No. 1, July 2004 (pp. 88-102).

Barker, Eileen, « The Not-So-New Religious Movements: Changes in ‘the Cult Scene’ over the Past Forty Years », in Temenos Vol. 50 No. 2 (2014), 235–56.

Beckford, James, “Nouveaux mouvements religieux”, dans : Azria, Régine, Hervieu-Léger, Danièle, Dictionnaire des faits religieux, Quadrige, PUF, 2010.

Berthon, Jean-Pierre, Kashio, Naoki, “Les nouvelles voies spirituelles au Japon : état des lieux et mutations de la religiosité, dans : Archives de sciences sociales des religions, n°109, janvier-mars 2000.

Bromley, D., Melton, J.G., « On reconceptualizing Types of Religious Organization : Dominant, Sectarian, Alternative, and Emergent Tradition Groups », in Nova Religio 15 :3 (2012), p. 4-28.

Clarke, P. B., Encyclopedia on New Religious Movements, Routledge, 2004.

Chryssides, G. (ed), Historical Dictionary of New Religious Movements, The Scarecrow Press, 2012.

Dawson, Lorne L., Cults and New Religious Movements, Blackwell Publishing, 2003.

Hammer, Olav, Rothstein, Mickael (ed.), The Cambridge Companion to New Religious Movements, Cambridge, 2012.

Lewis, James R., Violence and New Religious Movements, Oxfrod University Press, 2011.

Melton, J. Gordon, “Perspective: Toward a Definition of ““New Religion””, in : Nova Religio: The Journal of Alternative and Emergent Religions, Vol. 8 No. 1, July 2004.

Mayer, J-F., Les nouvelles voies spirituelles, enquête sur la religiosité parallèle en Suisse, L’Age d’Homme, 1993.

Mayer, J-F, « New Approaches to the Study of New Religions in North America and Europe », in Peter Antes, Armin W. Geertz et Randi R. Warne (dir.), New Approaches to the Study of Religion, vol. 1: Regional, Critical, and Historical Approaches, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2004, pp. 407-436.

Mayer, J-F, « Change in Religions and New Religions », in Will Deming (dir.), Understanding the Religions of the World: An Introduction, Chichester, Wiley-Blackwell, 2015, pp. 449-480.

Reader, Ian, “Perspective Chronologies, Commonalities and Alternative Status in Japanese New Religious Movements Defining NRMs outside the Western Cul-de-sac” in : Nova Religio: The Journal of Alternative and Emergent Religions, Vol. 9 No. 2, November 2005.

Wilson, B., Cresswell, J. (ed), New Religious Movements, Challenge and Response, Routledge, 2001 (1ère edition 1999).