Le dimanche 4 avril 2024, notre collaborateurice 𝗬𝗮𝗻𝗻 𝗙𝗮𝗻𝘁𝗶, s’est rendu.x au restaurant-bar La rive, à Vidy (Lausanne/VD), où se déroulait l’une des rencontres annuelles raëliennes. Cette rencontre avait pour but de réunir les membres du mouvement, mais également de se présenter aux nouvelles personnes intéressées. (Image : © Netflix)
Je m’y suis rendu en tant qu’observateur pour le compte du CIC. Une quarantaine de personnes étaient présentes. Les participant.e.x.s avaient, pour la majorité, dépassé la cinquantaine. La plupart d’entre eux portaient des bijoux avec le symbole raëlien, une forme de Swastika enchâssée dans une étoile à six branches et un cercle.
Une accolade de bienvenue est de mise, et tour à tour, les évêques raëlien.ne.x.s viennent se présenter à moi et m’enlacer. On me parle en me prenant la main ou l’épaule sur un ton que je juge accueillant. On m’invite à poser des questions, « toute question qui me viendrait »*. Intéressé.x, je demande notamment leur avis sur le récent documentaire Netflix, ce à quoi on me répond avec un certain enthousiasme que « les deux premières parties étaient bonnes »* et que revoir les images d’archives était « plaisant », mais que les deux derniers épisodes du documentaire leur semblaient plus « à charge » ce qui relèverait d’un « manque de rigueur journalistique »*. Toutefois, l’on reconnait volontiers que le documentaire a sans doute eu un impact sur le nombre de personnes extérieures au mouvement présentes ce jour-là. Antoine Berner, porte-parole du mouvement, me confie que « finalement, en bien ou en mal, l’important est que l’on parle de nous »**.
L’importance du 4 avril pour le mouvement raëlien
Pour comprendre l’importance de cette date, un retour est nécessaire sur la conception du monde raëlienne. Ainsi, la matinée commence par une prise de parole d’Antoine Berner au sujet de leurs convictions. Les Elohim, des extra-terrestres qui disposeraient d’une technologie beaucoup plus avancée que la nôtre, auraient créé différentes formes de vie en laboratoire et les auraient implantées sur terre. Ceux-ci auraient commencé par les plantes et les animaux, puis, dans une prolongation de leur expérimentation, auraient créé les humains. Les Elohim auraient alors révélé la vérité à leurs créatures à mesure que celles-ci étaient capables de la comprendre, c’est-à-dire, à mesure que celles-ci ont acquis des connaissances scientifiques leur permettant de saisir la complexité technologique de la création. Ainsi, les prophètes auraient reçu, les uns après les autres, une partie de la révélation jusqu’au dernier, Raël, qui aurait reçu l’intégralité de l’explication.
Durant le repas de midi, j’interroge Antoine sur les fêtes raëliennes. Il y a quatre célébrations annuelles qui correspondent à quatre évènements fondateurs. Le 13 décembre correspond à la date à laquelle Raël aurait pour la première fois rencontré les Elohim. Le 7 octobre serait la date de la seconde rencontre de Raël avec les Elohim, lors de cette rencontre, il aurait été « emmené sur leur planète »**. La troisième date importante est le 6 août, date commémorative du bombardement de Hiroshima qui correspondrait, selon eux, à l’entrée de l’humanité dans l’ère apocalyptique, au sens grec du terme, à savoir une ère de la « révélation »***. Il s’agit du moment où l’humanité serait entrée en capacité technologique, tout à la fois, de comprendre comment elle a été créée et/ou de s’autoanéantir. Le 6 août correspond au Nouvel An raëlien. Enfin, la signification de la dernière date, celle du premier dimanche d’avril, le 4 en 2024, aurait été révélée par Raël plus tardivement, il s’agirait de la date de la commémoration de la création de la vie humaine par les Elohim.
Des récits de conversion
Au fil de la matinée, d’autres guides et évêques du mouvement prennent la parole. Les récits sont pour la plupart des variations sur le récit de conversion. L’une nous explique que ce qui l’a séduite dans le courant raëlien, c’était la possibilité d’être une femme et d’occuper un rôle d’importance au sein du mouvement, contrairement au christianisme orthodoxe auquel sa famille était attachée. D’autres interviennent pour nous expliquer ce qui les a intéressés dans le raëlisme. Pour certain.e.x.s, c’est l’explication scientifique des origines, comme une alternative au récit biblique. Pour d’autres c’est la spiritualité du mouvement, nous sommes d’ailleurs invité.x.s à participer à une réflexion puis une méditation autour de la notion d’infini. Durant le repas de midi, les conversations se poursuivent et les témoignages de conversion aussi. Il me semble alors qu’une emphase est mise sur les « origines » (sociales ou géographiques) de chacun.e.x. On me demande à moi aussi « d’où je viens », « d’où vient ma famille ? »* ou si j’ai reçu une éducation religieuse. Une femme à côté de moi m’explique en détail sa rencontre avec les colocataires raëlien.ne.x.s de l’une de ses amies. Peu croyante, elle s’était alors intéressée à leur philosophie et avait fréquenté les cercles raëliens durant plusieurs années avant de se faire baptiser*. En face de nous, une autre convive m’explique venir d’une famille musulmane puis me parle de moments douloureux vécus par sa famille avant de m’expliquer son rapprochement avec le raëlisme. Plus tard, l’un des évêques me dira que je suis le bienvenu à tous les évènements qu’iels organisent, soulignant notamment que « tu sais, il y en a qui viennent à tous nos trucs durant des années avant de se dire raëlien.ne.x.s »*.
Ces récits retiennent mon attention. La conversion renvoie, étymologiquement, à la notion de changement ou de rupture (Le Pape, Laakili, & Mossière 2017). Pour le sociologue Roberto Simona, « la conversion n’est pas une ligne d’arrivée que l’on franchit, mais (…) implique un engagement qui doit être réaffirmé au cours des différentes étapes de la vie sociale de la personne convertie » (2022, p.33). Aussi, est-il important de souligner la dimension identitaire qui réside dans ces prises de paroles, que celles-ci soient encadrées dans le déroulé de la présentation ou qu’elles interviennent de façon plus spontanée comme lors du repas de midi. Cette dimension identitaire des conversions révèle un caractère politique dans la mesure où la conversion marque une distance avec « un certain ordre établi » (Mossière, 2019, p.118). Autrement dit, bien qu’il s’agisse d’un processus, le fait de raconter la conversion revêt souvent le forme d’un récit qui oppose un « avant » à un « après » qui pourtant ne prend pas pour point de pivot une bifurcation précise (au sens évènementiel), mais s’inscrit dans la durée. Cet aspect transparaît dans les discours que j’entends et qui portent une attention particulière à la façon dont le raëlisme s’est présenté comme une alternative à ce qu’il y avait « avant ». Toutefois, cette démarche doit être mise en perspective contextuelle. Les rencontres raëliennes sont aussi des moments de présentation du mouvement à de potentiel.le.x.s nouveaux.elles membres, ce dont témoigne l’important dispositif publicitaire déployé sur les réseaux sociaux à propos de la rencontre à laquelle j’assiste. Dans la salle, j’ai en effet croisé deux connaissances présentes par curiosité et qui avaient été informées de cette journée de rencontre via Instagram. Aussi, peut-on se demander si le récit de conversion existe comme une composante particulièrement importante pour le raëlisme – à savoir qu’il posséderait ses propres modalités et investirait un rôle spécifique dans le cadre des convictions et des pratiques raëliennes – ou s’il relève, en cet évènement, d’un dispositif rhétorique particulier qui, par métonymie, aurait visée à raconter le mouvement comme on se raconte soi. En effet, l’évènement a été pensé « dans un esprit de portes ouvertes »***, me précise Antoine Berner. Je retiens toutefois l’importance qui semble se dégager autour de la dynamique processuelle de conversion. Antoine Berner m’expliquera ensuite que selon lui, pour de nombreux.se.x.s raëlien.ne.x.s, il y a – au moment de prendre connaissance des convictions raëliennes, une « impression d’avoir toujours pensé ça, donc une impression de continuité dans la révélation »***. Si d’un point de vue strict la question de la « conversion » peut sous-entendre, plus ou moins implicitement, le « baptême » comme moment fondateur de la transformation identitaire, il s’agit, pour en apprécier l’importance réelle, de questionner le rapport raëlien à l’acte du baptême.
La transmission cellulaire
Dans le mouvement raëlien, le baptême se pratique en âge de conscience et les enfants de raëlien.ne.x.s , me dit-on, doivent « le faire de leur propre choix ». Pour mettre l’emphase sur cet aspect, on me parle notamment du concept de « safari spirituel » développé par Raël consistant à s’immerger dans toutes sortes de croyances avant de découvrir laquelle résonne le plus en nous.
Sur le coup de 14h30, les convives sont amené·e·x·s à rejoindre la salle de réunion où l’après-midi va se poursuivre. 15h, c’est l’heure à ne pas manquer, l’heure indiquée par Raël pour effectuer les transmissions cellulaires, à savoir les baptêmes raëliens. Ceux-ci ne peuvent être célébrés que lors de l’une des quatre fêtes raëliennes évoquées précédemment. Il s’agirait, par cette cérémonie, de « transmettre l’identité génétique de la personne aux Elohim »***, pour qu’ils la reconnaissent, et surtout qu’ils savent qu’elle les a reconnus. Deux personnes sont appelées, nominativement, et se lèvent. Durant le repas de midi, Antoine Berner m’informait qu’il s’agissait d’un nombre plutôt élevé de transmissions cellulaires, car d’ordinaire le mouvement, en Suisse, aurait plutôt été habitué à baptiser environ une personne seule par cérémonie, voire, une seule par année, durant la période Covid. Ils s’avancent au centre de la pièce et l’une des guides leur appose les mains mouillées d’eau dans un bol déposé sur son côté gauche. Une main sur le front, l’autre sur la nuque. Les deux ferment les yeux un instant et la célébration prend fin. Peu de mots sont échangés, le procédé ne dure pas longtemps, quelques minutes seulement, l’évènement – bien que ritualisé – n’est pas intégré dans un cadre cérémoniel très appuyé, cela me surprend. En échangeant à ce sujet, je comprends que l’acte revêt, selon les convictions raëliennes « une importance aux yeux des Elohim »*, mais ne semble pas faire l’objet d’une attention rituelle très forte. Il n’engage, par ailleurs, pas la personne à s’investir associativement au sein du mouvement au sens où être membre de l’association implique de faire une demande d’adhésion par bulletin. Dans ce second cas, une contribution financière est proposée mais ne repose plus sur un montant minimum « depuis une dizaine d’années »***. Sur le plan de l’anthropologie, cela soulève la question de savoir si la transmission cellulaire raëlienne, au sens de baptême, porte – comme son homologue chrétien – une dimension de rituel d’initiation (Labbé, 2005. De Visscher, 2015) ou si celle-ci devait appeler une thématisation conceptuelle différente si l’on souhaitait l’analyser plus substantiellement. Bien sûr, cette seule journée d’observation ne suffit pas à répondre à cette question de façon péremptoire.
Ambivalence face à l’intérêt médiatique
Dès le matin, plusieurs membres saluent ma démarche sociologique et ma présence, en opposant celle-ci au travail parfois « sensationnaliste » et « peu objectif »* de certains journalistes. Antoine Berner, lorsqu’il ouvre la journée, annonce ma présence en tant que membre du CIC et celle-ci est accueillie avec une apparente sympathie.
L’après-midi, une vidéo réalisée par l’un des raëliens est diffusée, celle-ci s’attaque notamment au mentaliste français Fabien Olicar qui a réalisé une vidéo diffusée sur la plateforme YouTube au sujet de Raël, mais qui a surtout été reçue comme une attaque grave, nous explique-t-on, contre les raëlien.ne.x.s. L’agacement tangible provient notamment du fait que la vidéo est interprétée comme faisant un amalgame entre les accusations de pédophilie et d’abus sexuels qui ont touché certains membres du mouvement et l’ensemble des membres. Cette vidéo de réponse à Fabien Olicar prend fermement position contre la pédophilie et les agressions sexuelles et affirme qu’il ne s’agit en rien de valeurs propres au mouvement. La vidéo considère la position de Fabien Olicar comme diffamatoire et souligne l’opprobre qu’il jetterait sur l’ensemble de la communauté raëlienne dans la mesure où il récupère également un fonds d’archives « à charge »* à l’encontre du mouvement. Ces archives donnent notamment voix à d’ancien.ne.x.s membres du mouvement accusant « les raélien.ne.x.s »* d’agressions ou d’abus de pouvoir, charges qui n’auraient jamais fait l’objet de condamnation et qui auraient également fait office de nombreux démentis, selon les représentant.e.x.s raëlien.ne.x.s.
Chanter pour les Elohim
La journée s’achève autour des 16h. Le groupe forme un cercle de deux rangées autour d’un évêque qui sort sa guitare. On me saisit par la main à ma gauche et par l’épaule à ma droite. Seul au fond de la salle reste un journaliste du magazine Femina qui avait cherché jusque-là à ce que l’on ne puisse pas l’identifier. Pour célébrer la fin de la journée, le groupe chante en cœur une chanson de Raël à la gloire des Elohim :
« Elohim, Elohim, Elohim, Elohim,
On vous a fait des cathédrales, des temples et puis des Mosquées
Fabriqué des Dieux de métal, vous qui ne vouliez qu’être aimés
(…)
On a amassé des richesses, sur le dos de ceux qui croyaient
Et on a fait payer des messes pour mieux enrichir le clergé
(…)
Maintenant que l’on peut comprendre comment vous nous avez créé
Il faut bâtir sans plus attendre, la résidence demandée
(…)
Elohim, Elohim, Elohim, Elohim »
Mise en perspective sociologique
Selon les chiffres communiqués par le mouvement, le raëlisme compterait environ 130’000 raëlien.ne.x.s à travers le monde dont 3000 membres du « clergé », c’est-à-dire de la structure du mouvement. La structure est organisée de façon hiérarchique, le membre le plus haut placé du clergé, le « pape » Raëlien est, pour le moment, Raël lui-même – mais ce statut est régulièrement soumis à la votation des 70 évêques que compte le mouvement. Le mouvement raëlien international serait présent dans 150 pays au travers des 5 continents (bien que beaucoup moins représenté en Océanie). En Suisse, le mouvement compte environ 1500 personnes baptisées, mais seulement une centaine de membres actif.ve.x.s. Il occupe le statut d’association à but non lucratif et possède une guide nationale ainsi que des membres aux fonctions administratives qui ne sont pas rémunérés, conformément à l’exigence des statuts légaux (CIC, 2024).
Le raëlisme s’inscrit, plus globalement, dans une tendance soucoupiste qui, selon le sociologue Jean-François Mayer, existe depuis les années 1950 et dont les groupes sont constitués en réaction au danger nucléaire mis en lumière durant la guerre froide. Ce millénarisme ne reposant pas sur un socle de croyances chrétiennes et dont l’origine ne serait pas divine, mais humaine aurait alors progressivement glissé vers un registre de conviction où le salut ne viendrait pas de Dieu, mais d’entités extra-terrestres (Mayer, 2001). Le millénarisme raëlien, toutefois, s’exprime par une envie de construire, sur terre, une ambassade pour accueillir les Elohim, ces êtres au travers desquels le récit de la création serait révélé et dont l’accueil serait le signe clair d’un progrès de l’humanité. Ce millénarisme ne se fonde pas sur une idée extérieure du salut. Une emphase importante semble être portée à la dimension personnelle de la responsabilité face à celui-ci. En outre, le mystère de la révélation n’est plus d’ordre théologique, le raëlisme produit une croyance que le sociologue Jean-Bruno Renard qualifie de « syncrétisme scientifico-religieux » (Renard, 1988, p.44). En effet, comme l’a expliqué Antoine Berner lors de la présentation de leurs convictions, le raëlisme n’invalide pas le récit biblique, en substance, mais en propose une nouvelle exégèse fondée non plus sur le pouvoir créateur d’un Dieu tout puissant, mais sur l’avancée technologique d’une civilisation lointaine. En outre, les différentes tendances soucoupistes ne peuvent être considérées comme un ensemble rigoureusement homogène, elles présentent des variations. Les conceptions raëliennes sont parfois qualifiées par ses adhérents d’ « athéisme raëlien »*** en ceci qu’au regard des membres du mouvement, leurs convictions sont fondées sur une relecture scientifique des récits religieux.
Notes :
*propos anonymisés, recueillis lors de la rencontre du 4 avril 2024
**propos recueillis lors de la rencontre du 4 avril 2024 auprès de Antoine Berner – évêque et porte-parole du mouvement
***propos recueillis par échanges numériques, auprès de Antoine Berner, le 05 mai 2024
Bibliographie :
- De Visscher, P. (2015). « Les premiers pas d’une vie nouvelle Baptême ou bizutage ? Rites bénéfiques ou traumatisants ? », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, Vol.107, pp. 493-535.
- Centre d’information sur les croyances (2024). Dossier d’information : « Le mouvement raëlien », Genève : CIC.
- Labbé, Y. (2005). « L’économie symbolique du baptême », Nouvelle revue théologique, Vol.127, pp. 200-225.
- Le Pape, L., Laakili, M. & Mossière, G. (2017). « Les convertis à l’islam en France, entre liens originels et recompositions croyantes », Ethnologie française, Vol.47, pp. 637-648.
- Mayer, J-F. (2001). « Mais que cherchent-ils ? », Actualité des religions, pp. 25-27.
- Mossière, G. (2019). « De l’usage des grammaires identitaires des conversions pour composer l’authenticité du sujet », Archives de sciences sociales des religions, Vol.186, pp. 117-138.
- Renard, J-B. (1988). Les extraterrestres. Éditions Du Cerf. Paris.
- Simona, R. (2022). Conversions religieuses et liberté. Antipodes. Lausanne.